Cuisines africaines : héritages, créations et voix de la diaspora

Qu’ont en commun un jollof revisité à Houston, un poulet DG camerounais et un podcast enregistré au musée du quai Branly ? Tous participent d’une incroyable histoire : celle des cuisines africaines, vivantes, multiples et en perpétuelle transformation.

Au-delà des clichés et des recettes figées, ces gastronomies s’ancrent dans les mémoires, s’étoffent dans les diasporas, et résonnent jusque dans les séries Netflix ainsi que dans nos assiettes. 

Cet article propose trois récits qui célèbrent la richesse, la diversité et l’engagement de ces cultures culinaires, entre racines profondes et créations contemporaines.

Les cuisines africaines : entre mémoire, migrations et créations

Huit années passées au musée du quai Branly m’ont appris que la cuisine n’est pas qu’un répertoire figé de recettes: elle raconte des histoires, reflète les migrations, elle est source d’innovations.

Trop souvent résumées au délicieux yassa et au riche mafé servis dans un restaurant de quartier, les cuisines africaines révèlent en réalité une incroyable diversité. Elles nous parlent autant des régions forestières que des zones sahéliennes, d’histoires d’exil que de vies urbaines contemporaines.

Trois récits pour découvrir la richesse culinaire africaine

Bouffons – Des voix de la diaspora et de la mémoire

Dans l’épisode 33 du podcast Bouffons, enregistré lors d’un afterwork que j’ai organisé au musée, deux voix s’entremêlent avec pertinence et vivacité : celle d’Alexandre Bella Ola, fondateur du restaurant-institution Rio dos Camaraos, et celle de Nathalie Brigaud Ngoum, cheffe et créatrice d’Envolées Gourmandes.

Ce qui m’a le plus marqué dans leur échange, c’est qu’il tord le cou à l’idée reçue selon laquelle les cuisines africaines seraient uniformes, monolithiques. Ces cuisines sont au contraire faites d’histoires diverses. Nathalie, d’origine camerounaise, raconte comment elle a appris à cuisiner dès l’enfance, en s’imprégnant des gestes des femmes de sa famille. Pour elle, le manioc est aussi bien une racine qu’un vecteur d’expérimentation culinaire. Alexandre, quant à lui, est arrivé en France rêvant de faire du théâtre. La cuisine a été son ancrage, son moyen de survie puis un outil de transmission.

Ce qui caractérise, selon eux, les cuisines africaines, c’est leur pluralité : l’Afrique, ce sont plus de 50 pays, 5 fuseaux horaires, et des réalités agricoles, historiques et culturelles profondément distinctes. Ce que l’on y cuisine varie selon les zones : céréales au nordtubercules au sudinfluences indiennes et asiatiques à l’est… Et dans la diaspora, ces cuisines se rencontrent, fusionnent, évoluent… C’est alors d’une « cuisine de la mémoire » dont il est question— celle qu’on emporte en soi lorsqu’on quitte son pays, nous dit Alexandre.

« Le Thiéboudiène, par exemple, n’est pas un plat « traditionnel » sénégalais, mais un plat urbain, moderne, né des croisements entre les cultures africaines, européennes et asiatiques. »

Ce patrimoine en mouvement donne naissance à des plats emblématiques comme le Poulet Directeur Général né dans les années 80. Dans cet incontournable camerounais, les légumes du potager se mêlent au poulet braisé pour une composition colorée, parfois sucrée, toujours en mutation.

Écouter l’épisode

Houston – Une capitale culinaire afro contemporaine

Loin de Douala ou de Dakar, Houston est aujourd’hui l’une des capitales mondiales de la cuisine ouest-africaine aux États-Unis. C’est ce que montre avec finesse un article du New Yorker signé Hannah Goldfield, qui part à la rencontre de restaurants traditionnels comme Safari (ouvert en 1994 par Margaret Ukegbu) et de lieux contemporains comme ChopnBlok, proposé par le jeune entrepreneur Ope Amosu.

A Houston, les gastronomies africaines ne sont pas artificiellement maintenues en vie : elles appartiennent au présent, dans des quartiers cosmopolites comme Montrose, et se mélangent aux cuisines africaines-américaines. On y déguste du waakye (riz ghanéen parfumé aux feuilles de sorgho), du fufu à avaler sans mâcher, des brochettes suya marinées aux arachides, mais aussi un jollof jambalaya, mix savoureux de riz ouest-africain et de cuisine louisianaise.

 « À ChopnBlok, la cuisine devient un langage. On y parle autant du passé que de l’avenir. »

Cette diaspora culinaire ouest-africaine ne se contente pas de partager des traditions : elle réinterprètemoderniseconnecte. Houston est un espace d’émancipation et de fierté gastronomique, où les jeunes générations puisent dans leurs racines et s’en imprègnent pour mieux les glorifier.

Lire l’article du New Yorker

Illustration par Jason Fulford et Tamara Shopsin

High on the Hog – Quand l’histoire culinaire devient résistance

Que reste-t-il des traditions culinaires africaines qui ont traversé l’Atlantique ?
La série documentaire High on the Hog, diffusée sur Netflix et adaptée du livre de Jessica B. Harris, explore cette question avec une profondeur marquante.

Mené par Stephen Satterfield, fabricant de coton, sommelier et journaliste gastronomique, ce voyage débute au Bénin de ses ancêtres et emprunte les chemins de l’esclavage, jusqu’aux cuisines créoles, Gullah Geechee ou soul food.
On y découvre par exemple que le riz, le gombo, les techniques agricoles ou les premiers services de traiteur aux États-Unis sont directement hérités des savoir-faire africains. On y apprend aussi que c’est James Hemings, chef noir affranchi du président américain Thomas Jefferson, qui a introduit les techniques françaises dans la cuisine américaine…

Mais la série n’est pas seulement un hommage à ce riche patrimoine culinaire. Avec beaucoup de dignité et d’émotion, elle rend justice à l’immense créativité culinaire noire. Une créativité nourrie par l’histoire et la joie.

«La cuisine est un acte de résistance. Mais elle est aussi un acte de fête. » – Jessica B. Harris

Lire l’article du New York Times sur la série

Héritages vivants, langues gourmandes et fiertés culturelles : pourquoi les cuisines africaines méritent plus de lumière ?

Ces trois ressources nous le disent avec force : les cuisines africaines sont vivantes et en perpétuelle transformation. Elles portent en elles l’histoire d’un continent riche, de ses diasporas et ses métissages. Elles ne peuvent souffrir les préjugés, les lieux communs. Elles méritent que l’on fasse sur elles la plus éclatante des lumières : les voix qui les incarnent sont sincères et les chefs qui les défendent, bourrés de talent. Les lieux qui les révèlent sont enfin de précieux cocons à chérir.

Ces cuisines, comme les langues ou les souvenirs, sont des héritages à faire vivre de génération en génération tout en les imprégnant des vécus contemporains. 

Et vous ?

Où dégustez-vous les cuisines africaines ? Aimeriez-vous partager un souvenir culinaire ? Un livre, un chef, une saveur ?

Je serais ravie de vous lire en commentaires ou en message privé. Et si vous cherchez à valoriser ces récits dans vos projets culturels ou événementiels, parlons-en.

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