De la cueillette préhistorique à la biodynamie contemporaine, les femmes ont toujours entretenu un lien fort avec la vigne. Souvent invisibilisées, contournées, reléguées aux tâches les moins valorisées, elles sont pourtant au cœur du récit viticole.
Cet article explore une autre histoire des femmes dans la viticulture : celle des travailleuses de l’ombre, des pionnières, et des professionnelles d’aujourd’hui qui réenchantent la filière avec exigence, soin et engagement.

Une Histoire du vin au féminin
Bien avant l’ère des moines et des négociants, les tous premiers vinificateurs étaient en réalité… des femmes ?
C’est l’hypothèse fascinante avancée par Florence Tilkens Zotiades dans Vin, vignes, femmes : une odyssée viticole ?. Selon elle, ce sont les femmes du Paléolithique supérieur, les cueilleuses, qui auraient découvert, sans doute par accident, les vertus fermentées du jus de raisin. De la collecte à la fermentation, leur « puissance nourricière » les plaçait alors au cœur de ce lien intime entre l’humain et la vigne.
Ce lien naturel et nourricier entre femmes et vin s’est progressivement distendu à mesure que la viticulture est devenue un champ de pouvoir, codifié par et pour les hommes.
De la cueillette à l’effacement, l’évincement progressif des femmes
Si à l’époque néolithique, les femmes jouent encore un rôle central dans la connaissance de la vigne, leur rôle va peu à peu être perçu comme secondaire. Dès l’âge du bronze, l’apparition des outils métalliques maîtrisés par les hommes marque un tournant : la vinification devient une affaire de mâles, synonyme de pouvoir et de prestige.
L’Antiquité scelle cette mise à l’écart. Chez les Romaines, la consommation de vin était interdite et passible de mort, au même titre que l’adultère. De symbole de pouvoir, le vin devient aussi un outil de contrôle social.
On note cependant quelques exceptions au travers des siècles notamment chez les religieuses :
-Les moniales de Fontevraud ou les hospitalières de Beaune, qui géraient intégralement leurs domaines viticoles.
-Le Clos de Tart, fondé au XIIe siècle par des moniales bernardines.
-L’abbesse Hildegarde de Bingen reconnaissait des vertus thérapeutiques au vin qu’elle associait à d’autres plantes en fonction des maux qu’elle souhaitait guérir.
Mais ces cas restent marginaux. La loi salique interdisant aux femmes l’héritage de la terre les éloigne de la gestion de la vigne. Et au fil des siècles, l’accès à la propriété, à la transmission et à la reconnaissance se heurte à une culture patriarcale aux racines profondes.
1850–1950 : l’ère des travailleuses invisibles
Dans Les femmes et la vigne , Jean-Louis Escudier décrit par le menu le paradoxe qui caractérise cette époque : les femmes sont omniprésentes dans les vignes et dans le même temps sont invisibles.
Jusqu’à la première guerre mondiale :
- Elles taillent, greffent, luttent contre les maladies.
- Elles sont essentielles aux vendanges.
- Elles excellent au greffage, mais cantonnées à la pépinière. Ce travail est moins valorisé que le greffage in situ, réservé aux hommes.
- Et surtout : elles sont payées comme les enfants, à demi-salaire.
Cette invisibilisation des femmes dans le vin se perpétue bien au-delà des champs.
Si les guerres imposent qu’elles reprennent les rênes des exploitations, elles sont renvoyées au foyer en temps de paix.
Les veuves, comme la célèbre Madame Clicquot ou Françoise Joséphine de Sauvage d’Yquem, accèdent à la propriété viticole parce qu’elles ont perdu leur mari. Le système comporte donc quelques exceptions tout en perpétuant une logique profondément sexiste.
Le XXe siècle : mécanisation, mixité progressive et plafond de verre
Les années 1970 voient une avancée majeure, celle de l’introduction de la mixité dans les établissements agricoles et viticoles. Mais la mécanisation renforce souvent la division sexuée du travail, en réservant certaines tâches techniques ou stratégiques aux hommes. Certains préjugés ont la vie dure comme les menstruations des femmes, qui restent un tabou dans certaines caves.

Repenser la place des femmes dans le vin
Dans son ouvrage, Florence Tilkens Zotiades s’appuie sur différentes enquêtes soulignant de nombreuses difficultés rencontrées par les femmes dans le secteur viticole. Aujourd’hui encore, les femmes sont sous-représentées dans les instances décisionnelles et le sexisme dans le milieu viticole reste une réalité tangible. 2 femmes sur 3 évoquent en effet des discriminations à l’embauche ou sur le terrain.
Pourtant, les raisons d’espérer sont là.
Les femmes sont désormais majoritaires dans certaines formations.
Elles excellent dans l’analyse sensorielle, la sommellerie, la dégustation professionnelle.
Elles prennent leur place et s’engagent.
Des figures comme :
- Lalou Bize-Leroy, pionnière de la biodynamie au domaine de Romanée-Conti,
- Isabelle Perraud, vigneronne fondatrice de Paye ton pinard, collectif dénonçant le sexisme (VSS), l’homophobie, transphobie, racisme, et validisme dans le monde du vin
- Ou encore Sandrine Goeyvaerts, caviste et autrice du Manifeste pour un vin inclusif,
…montrent que le vin est aussi émancipateur, poétique, éthique et peut être un outil de changement social.
Des collectifs féministes du vin comme Viti-F, en Anjou, repensent les vendanges dans une perspective bienveillante :
-Congés menstruels
-Tentes d’intimité dans les vignes
-Encadrement 100% féminin
-Formation à la gestion non-violente

Une autre grammaire du goût : ce que les femmes apportent à la culture du vin
Mais au-delà de leurs engagements, ce que les femmes apportent aujourd’hui à la filière vin, c’est une aussi une nouvelle grammaire du goût et du travail :
- plus de collaboration
- plus de soin
- plus de lien
Certaines études en neurosciences soulignent aussi leur meilleure mémoire olfactive. Plus encore que la technique, c’est une posture différente qui s’affirme. Le lien entre biodynamie et femmes dans le vin se manifeste par exemple souvent par une attention accrue au vivant, au soin, à la terre.
Dans les expériences de dégustation que j’imagine avec Elskan et le Wine Up Club, je veille à transmettre cette vision :
-Inclusive
-Décomplexée
-Émotive et exigeante à la fois
En 2018, à l’occasion de la journée internationale du Droit des Femmes, j’ai même eu l’honneur d’organiser un événement à l’Assemblée nationale pour valoriser les viticultrices et œnologues de Bourgogne. Un moment fondateur dans ma démarche.

Ouvrir des perspectives, élargir les récits
Les femmes ne devraient plus avoir à “faire leurs preuves” dans un domaine où elles ont toujours été présentes, bien qu’en silence.
Le vin ne devient pas « plus féminin » parce qu’on le dit plus doux ou plus rosé. Il devient plus juste dès lors qu’il s’ouvre à toutes les expressions, à tous les talents.
Donner leur juste place aux femmes dans la filière, c’est une nécessité.
Car il reste des défis majeurs :
• La lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les exploitations et les écoles.
• Une représentation équitable dans les concours, les jurys, les appellations.
• Une refonte du langage de dégustation, encore trop souvent sexué, excluant ou stéréotypé.
Plutôt que d’associer le vin à des genres, à des fantasmes de pouvoir ou à des stéréotypes d’émancipation marketing, pensons-le comme un terrain d’inclusion, de partage et de narration sensible.
Chez Elskan, c’est cette approche que je cultive :
-Une dégustation qui écoute autant qu’elle transmet
-Une culture du vin débarrassée des clichés de genre
-Des événements où chaque voix compte, où la pédagogie rime avec plaisir
Envie de co-créer une dégustation inclusive ? Un événement engagé autour du vin ?
Écrivez-moi. Ensemble, racontons une autre histoire du vin : vivante, plurielle et sensible.